Introduction
Maidan al-Jazaïr Tripoli : un héritage inoubliable de solidarité panafricaine – Le 7 août 2025 restera une date gravée dans ma mémoire. Ce jour-là, lors de ma toute première visite à Tripoli, mon guide m’a mené vers un lieu dont je n’avais jamais entendu parler : la Place d’Algérie (Algeria Square), ou Maidan al-Jazaïr. À peine arrivée, j’ai été happée par la silhouette massive qui domine la place, un édifice qui semblait à la fois familier et étranger.
Témoignages populaires et mémoire collective
« Lors de la révolution algérienne, les femmes de Tripoli ont organisé une collecte de bijoux pour soutenir la lutte. Ma grand-mère m’a raconté que les femmes se rassemblaient sur la place, déposaient bagues, colliers et bracelets dans des paniers. C’était leur manière de dire à l’Algérie : nous sommes avec vous. »
J’ai entendu ce récit au milieu de l’agitation de la place. Et, soudain, le décor autour de moi s’est effacé. Dans mon esprit, la scène prenait forme.
Je voyais les femmes arriver, certaines seules, d’autres en petits groupes. Elles portaient leurs bijoux de mariage, des bracelets transmis de mère en fille, des bagues héritées. Les pas étaient lents, presque cérémoniels, comme si chaque foulée pesait le poids d’une décision irréversible. La rumeur de la guerre en Algérie résonnait jusque dans les ruelles de Tripoli. Chaque bijou, chaque gramme d’or déposé, devenait un morceau tangible de résistance.

Elles avançaient avec gravité, le regard fixé sur le panier placé au centre de Maidan al-Jazaïr. Le geste semblait simple : ouvrir la main, laisser tomber un bijou. Mais en réalité, c’était un acte de rupture avec le confort personnel, un sacrifice intime offert à une cause qui dépassait les frontières. Les bijoux n’étaient pas de simples objets : ils étaient chargés de souvenirs familiaux, de mariages, de naissances… et pourtant, en un instant, ces souvenirs devenaient armes pour la liberté.
C’est à cause – ou plutôt grâce – à cette page d’histoire que la place porte aujourd’hui le nom de Maidan al-Jazaïr (Algeria Square de Tripoli). Le baptême ne fut pas un hasard administratif, mais un hommage direct à cette solidarité féminine qui transcenda les nations. Le nom conserve la mémoire de ces femmes anonymes, dont le courage et le don sont devenus un symbole pour Tripoli tout entière.
En me tenant là, en ce 7 août 2025, je me suis demandée combien d’habitants passent devant la place Maidan al-Jazaïr chaque jour sans connaître la raison profonde de son nom. Et je me suis promise que, par ce récit, de faire revivre ce moment où la fraternité se mesurait au poids de l’or offert.
Un carrefour historique au cœur de Tripoli
Située à quelques pas du vieux port et du centre administratif, Maidan al-Jazaïr est bien plus qu’un simple espace public. Ce lieu, anciennement Piazza della Cattedrale, a vu défiler colons, militaires, pèlerins et manifestants. Chaque pierre y porte les marques d’une histoire mouvementée.
Des origines italiennes à l’empreinte coloniale
En 1911, l’Italie envahit la Libye, alors province ottomane. La domination italienne, officialisée par le traité de Lausanne de 1923, marque profondément Tripoli. Entre 1923 et 1928, les autorités coloniales commandent la construction d’une cathédrale monumentale : le Sacré-Cœur de Jésus, conçue par l’architecte italien Saffo Panteri (source).
Inaugurée en novembre 1928, elle s’inscrit dans une politique d’italianisation urbaine. Le bâtiment, avec son dôme central et son campanile visible depuis la mer, devient un repère pour les marins et un symbole de l’autorité coloniale.
Une architecture néo-romane signée Saffo Panteri
Saffo Panteri puise dans le style néo-roman : arcs en plein cintre, nef basilicale, façade symétrique, mais il y intègre aussi des accents byzantins. Les matériaux, principalement de pierre claire, captent la lumière méditerranéenne. L’édifice se distingue par son plan basilical, son dôme imposant et ses volumes massifs, incarnant la volonté italienne de marquer Tripoli de son empreinte.

1970 : le tournant de la reconversion
Après le coup d’État du 1er septembre 1969, Mouammar Kadhafi lance un programme de “purification” de l’espace public. L’objectif est clair : effacer les traces visibles de la colonisation et réaffirmer la souveraineté libyenne.
Fermeture et confiscation sous Kadhafi
En juillet 1970, les biens italiens et ecclésiastiques sont nationalisés. La cathédrale, bien que monument religieux, est considérée comme un symbole colonial et fermée au culte en septembre de la même année (source).
Transformation en Mosquée Gamal Abdel Nasser
Le 29 novembre 1970, l’édifice devient officiellement la Mosquée Gamal Abdel Nasser, en hommage au président égyptien et figure du panarabisme. Les croix sont retirées, le clocher transformé en minaret, et l’intérieur est réorienté vers La Mecque. Ce geste architectural est aussi un geste politique : transformer un symbole colonial en un monument dédié à l’unité arabe et musulmane.
Le renommage en « Maidan al-Jazaïr »
Un geste politique en soutien à l’Algérie
La Libye de Kadhafi se positionne comme un allié majeur de l’Algérie durant la guerre de libération. Renommer la place “Maidan al-Jazaïr” est un hommage à cette lutte, un acte symbolique fort qui inscrit l’Algérie dans le paysage urbain de Tripoli.
Témoignages populaires et mémoire collective
« Lors de la révolution algérienne, les femmes de Tripoli ont organisé une collecte de bijoux pour soutenir la lutte du FLN. Ma grand-mère m’a raconté que les femmes se rassemblaient sur la place Maidan al-Jazaïr, déposaient bagues, colliers et bracelets dans des paniers. C’était leur manière de dire à l’Algérie : nous sommes avec vous. »
L’architecture aujourd’hui
Ce qu’il reste de la cathédrale
Le dôme et l’ossature d’origine sont toujours présents. Les murs porteurs, les arcs et la base du campanile témoignent encore de la main de Panteri. L’axe basilical est toujours visible, même si l’espace intérieur a été réaménagé.
Les ajouts et modifications post-conversion
Le minaret, les calligraphies coraniques, et les motifs géométriques islamiques ont remplacé les vitraux et les symboles chrétiens. L’ensemble respire désormais une identité islamique tout en conservant une silhouette héritée de son passé.
Archives visuelles et mémoire du lieu
Images avant la conversion
Les archives photographiques des années 1940-60 montrent une place dégagée, la façade blanche éclatante et un campanile dominant la ville.
La place et la mosquée aujourd’hui
Aujourd’hui, la mosquée est intégrée dans un tissu urbain dense, entourée de circulation et de commerces. Malgré cela, elle reste un repère architectural et mémoriel majeur pour Tripoli.

Conclusion
Le 7 août 2025, j’ai découvert un lieu qui incarne à la fois l’héritage colonial, la mémoire populaire et la fraternité maghrébine. Maidan al-Jazaïr -Algeria Square n’est pas seulement un square : c’est un livre ouvert où chaque pierre raconte une histoire de résistance et d’unité.
Aujourd’hui, plus que jamais, il est temps de raviver cet esprit. Que la fraternité panarabe et panafricaine redevienne un projet vivant, capable de transformer notre mémoire partagée en un avenir commun.
Références
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Archives photographiques – Wikimedia Commons
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Sources locales et témoignages oraux que j’ai recueilli à Tripoli le 7 août 2025










